ET
PERSONNE N'ECHAPPERA AU JUGEMENT DES HOMMES
La Cour Pénale
Internationale a été définie par la Convention de Rome le 18 juillet 1998: 120
pays sur 147 représentés à l'ONU l'ont ratifiée. Parmi les absents: les
Etats-Unis, avec Israël bien sûr et ... l'Irak! Cela pourrait être drôle, mais c'est plutôt à classer dans
les pieds de nez tragiques dont la vie
politique est coutumière.
Malgré ces réticents,
cette décision prise l'année où on commémore la Déclaration Universelle des
Droits de l 'Homme est positive et
chargée de sens: elle permet de grands espoirs. C'est une bonne résolution pour
l'ensemble de la planète même si, comme pour nos bonnes résolutions
individuelles de début d'année elle ne sera pas ( ou pas tout de suite) très
efficace.
Cette décision
manifeste au moins du désir de nos sociétés de refuser l'impunité pour des
crimes particulièrement odieux même s'ils sont commis au nom de la raison
d'état . Cette nouvelle cour, lorsqu'elle sera installée permettra de juger
dans n'importe quel pays n'importe quel criminel pour un crime de guerre, un
crime contre l'humanité ou un crime de génocide: précisément elle prévoit
d'intervenir en cas d'exterminations, déportations, attaques contre les
populations civiles, toutes formes d'apartheid.
L'évolution des
mentalités qui a permis cette décision internationale s'explique sans doute par
la pression à laquelle chaque citoyen est soumis : les média ne nous laissent
rien ignorer des drames qui secouent la planète. Les ONG qui tentent d'y
remédier nous sollicitent sans cesse. Loin de nous rendre indifférents cet
afflux d'images atroces, cet appel constant à la réparation très partielle de
ces crimes ont secoué la conscience collective.
La guerre froide a
longtemps servi d'alibi à bien des crimes d'état (pensons à la guerre du
Viet-Nam) et la colonisation avant elle ( pensons aux amérindiens ou à la
traite des noirs ou au régime d'apartheid) et le refus de la décolonisation
aussi (pensons aux massacres de Madagascar ou à la guerre d'Indochine).
Aujourd'hui, la
"fin des idéologies" est consacrée: cela rend plus difficile (mais
toujours nécessaire) l'engagement politique; mais cela rend aussi totalement
inacceptables les atteintes aux droits de l'homme.
Peut-être aussi la
tendance assez marquée de nos sociétés à l'individualisme nous pousse - t -
elle paradoxalement à rejeter plus fermement les atteintes à l'individu.
Des tribunaux
d'exception ont déjà été mis en place : Nuremberg fut le premier pour juger les
nazis, Tokyo pour juger les japonais puis très récemment, pour juger les crimes commis en Bosnie et au Rwanda. A
chaque fois, le tribunal est créé a posteriori: si le crime donnait finalement
le pouvoir au criminel (qu'on appelait alors chef d'état), il était à l'abri de toute condamnation.
La Cour Pénale Internationale
devrait être au contraire une sorte d'avertissement permanent: aucun homme
politique, aucun militaire, ne pourra croire que le pouvoir lui assure
l'impunité.
Ce n'est pas un hasard
si dans le même temps qu'on définissait cette future juridiction, des plaintes
étaient déposées par des victimes de Pinochet. Pas un hasard, si les différents
tribunaux concernés ont lancé des mandats d'arrêts internationaux et si après
bien des hésitations, en Grande-Bretagne, la très digne Cour des Lords ne
reconnaissait pas l'immunité du général, ancien tortionnaire, ancien chef
d'état et sénateur à vie dans le Chili de nouveau démocratique... Pas un hasard
non plus, l'éloquent silence des USA.
On se souvient de l'espoir apporté au monde par
l'arrivée démocratique du
socialiste Allende à la tête du Chili,
suivi par un vent de démocratisation sur toute l'Amérique latine. On se
souvient aussi des erreurs de ce gouvernement (timidité devant l'ampleur des
réformes attendues, sous-estimation des forces hostiles). La grève des
camionneurs fomentée par la CIA (c'est aujourd'hui admis de tous les media) a
sonné l'hallali. Pinochet n'a eu qu'à
appliquer avec zèle la fin d'un plan qui doit beaucoup à la peur des USA
d'avoir un 2ème bloc socialiste (le mur de Berlin est encore solide
en 73) à leur porte. Cuba avait un allié... tout proche. Insupportable!
Nous avons tous lu et
entendu des témoignages des victimes, les
stades pleins, les disparitions, les tortures.
Alors si demain la
justice espagnole ou suisse ou qui sait française pouvait juger Pinochet, tout
le monde (ou presque) serait d'accord là-dessus.
Pinochet a pris le
pouvoir en renversant un régime issu d'élections démocratiques et il est responsable de l'élimination de
milliers de démocrates chiliens. Il ne
sera sans doute pas puni à la hauteur de ses crimes mais, le seul fait de le
juger est déjà une victoire pour ses victimes. L'an dernier, plus près de nous,
le procès Papon obéissait à la même
logique.
Pourtant , restent
bien des problèmes...
A commencer par
l'attitude du Chili (qui a retrouvé un régime démocratique
mais faible): les forces au pouvoir sous Pinochet sont encore présentes: Le
Chili (comme le Cambodge) hésite entre oubli et vengeance, réconciliation et
justice, droit à juger lui-même son tortionnaire et peur de réveiller des
couches hostiles de la population. La commission Vérité et Réconciliation a
siégé pendant un an (de mars 90 à mars 91): elle a reconnu 2000 morts et 800
disparus mais n'a pris aucune décision contre les responsables.
Quand faut-il juger
les criminels : quand ils sont tous puissants, ou quand ils
ont perdu la bataille politique dans leur pays?
Il semble qu'un
criminel , premier ministre, chef d'état ou dictateur au pouvoir donc en train de commettre les forfaits qu'on
jugera plus tard, est toujours et partout accueilli avec les honneurs : le
tapis déroulé sous ses pas est rouge mais on oublie de rappeler que c'est la
couleur du sang répandu par l'hôte. Nous avons reçu Kabila et avant lui
Jirolescu et même Pinochet...
Qui faut - il juger :
l'homme politique qui s'empresse à liquider ses opposants ou le pays étranger
mais puissant qui a tout préparé, par services secrets interposés, pour lui
donner le pouvoir qu'il ne pouvait obtenir par des voies démocratiques? La
récente enquête parlementaire sur le rôle de la France dans le drame rwandais a
écarté semble - t - il les soupçons nés autour de l'opération Turquoise: c'est
tant mieux. Et c'est bien que le parlement puisse exercer un contrôle.
Pourtant si la question a pu être posée, c'est que le risque d'une action moins
humanitaire existait bien.
Qu'appelle -t - on
crimes contre l'humanité: Si pour Pinochet, les faits sont avérés
et épouvantables, il y a bien des cas moins clairs: de Timisoara en Roumanie à
Racak au Kosovo (charniers fabriqués ou
non pour la presse), des massacres en
Afganistan (mais c'est l'URSS qui était en cause) aux conséquences dramatiques
du blocus imposé à l'Irak (attention pétrole) sans parler des massacres en
Algérie(ceux du FIS ou ceux de la France coloniale) ou de la situation des
Palestiniens, les exemples ne manquent pas où la notion de crime devient
malheureusement beaucoup plus contestée.
Au fond, nous sommes
en train d'assister à un changement profond dans les relations entre états. Au
moment où l'ONU paraît fragilisée, alors que l'Europe politique est encore dans
les limbes, paradoxalement, la conscience collective que nous avons de la COMMUNAUTE
TERRE et des droits de chacun grandit et s'affirme. C'est cette conscience qui
conduit à des décisions à caractère très symbolique comme la définition de la
Cour Pénale Internationale (comme la tenue de la conférence de Rio dans le
domaine de l'écologie).
Si on confronte cette
ambition à la réalité politique , on peut trouver cela dérisoire .
Nous préférons y voir
une nouvelle utopie: qui fera rêver et espérer et se mobiliser les hommes du prochain siècle.